Un regard sur la photographie de plateau

Guetter l’émotion, deviner son approche et déclencher, à l’intuition, à ce dixième de seconde qui va du cerveau à la saisie en phase : équation personnelle.

Guetter le geste le plus signifiant, le pressentir et le saisir.

Chaque film est un prototype dont le réalisateur est seul à en rêver les images idéales.

S’y accorder sans les connaître.

Le scénario ne renseigne en rien ou si peu, sur sa transcription dans le réel.

D’autant que le réalisateur va jouer du montage, du « champ contre-champ », du panoramique, du travelling, du mouvement… Image fixe mon beau souci !

Guetter un événement qui se répète, « ni tout à fait le même ni tout à fait un autre », et sur lequel le photographe n’a pas de prise. Du moins est-il le maître de l’instant de sa saisie et de l’angle de cette saisie.

Sentir d’instinct que la place de la caméra, qui se nourrit du mouvement, est très souvent le mauvais choix pour donner du sens à l’image fixe.

L’arrivée sur les plateaux ces dernières années de « blimps » – petits caissons qui atténuent le bruit des appareils (terreur des ingénieurs du son et démobilisateur des comédiens) – a beaucoup aidé à cette quête. Avant le photographe recréait depuis le point de vue de la caméra une synthèse de la scène en fonction de son feeling. C’est toujours possible mais cela prend du temps et souvent le Directeur de Production n’est pas d’accord.

Être au service d’une création tout en gardant l’originalité de son œil. Savoir que l’on ne sert à rien pour la fabrication du film, mais à tout pour sa mémoire. Être présent, vigilant, mais couleur de muraille. J’ignorais tout cela en débutant (par inadvertance) ce métier.

Curieux métier où l’on ne reçoit d’ordre de personne et où l’on ne donne, d’aventure, que des conseils. Métier où la technique est tout entière au service des qualités artistiques que la Convention Collective nous attribue.

Je ne connais pas deux photographes de films, qui le soient devenus par les mêmes voies. Il est rare que ceux qui décident de ce (tout petit) créneau en début de carrière, y accèdent. Vous ne choisissez pas le cinéma. C’est lui qui en dispose.

Au-delà de la maîtrise technique qui est le B A BA, il y faut une intuition de la psychologie de l’acteur, des vedettes (elles choisissent le photographe quand elles ne l’imposent pas).

Une vedette a un besoin viscéral d’être aimée. Qui ne l’a pas ?

Si elle sent que vous pensez sincèrement à exalter son jeu, son physique et que son personnage vous fascine vraiment, soyez assuré que lors de la formation de l’équipe technique de son prochain film, elle ne s’opposera pas à votre engagement et ira même jusqu’à vous proposer.

Et comme le monde du cinéma, côté grands films, est un petit Landernau, votre nom sera très vite connu et reconnu. Mais attention, la moindre défaillance ne passera pas inaperçue, elle sera même déformée et amplifiée. Vous serez rapidement au placard.

A question rituelle : Pourquoi faites-vous autant de photographies ?
Réponse qui ne l’est pas moins : Pourquoi respirez-vous tout le temps ?

Le photographe doit s’accorder avec le rythme du film et la « respiration » du jeu. Il doit y soumettre son Leica. Le dixième de seconde qui sépare « l’instant décisif » de l’autre, est à ce prix.

« Il y faut 10 ans » m’a prédit un jour Roger PIC. Il avait raison.